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« Libre, Le Figaro ? Allons donc ! Il n a fait que blaguer et
salir les socialistes et les républicains, alors qu ils ne pouvaient
pas se défendre. Il a toujours été pour les mouchards et les
sabreurs, pour l arrestation et l écrasement de ceux qui viennent
de faire la révolution. »
Le Bellevillois s anime et s emporte :
« Tenez, je me rappelle un jour où Magnard écrivit que, pour
avoir la tranquillité, il faudrait choisir cinquante ouvriers ou
bohèmes parmi les agitateurs, et les envoyer à Cayenne en convoi
de galériens& Mais aujourd hui, si je pensais comme ça, si j étais
un gueux aussi, c est Villemessant, lui, vous, toute la bande, que
je ferais coller à Mazas ! Vous demandez qu on empoignât les
nôtres, et qu on assassinât nos journaux. On n exécute que la
moitié de votre programme& et vous réclamez ! Fichez-moi le
camp, et plus vite que ça ! d autres seraient peut-être moins
généreux. Filez, c est prudent ! »
Le figarotier a disparu. J ai essayé de défendre ma thèse.
« Toi, Vingtras, motus là-dessus ! Ces fédérés qui t entendent
vont te suspecter, et s indigner. Le journal qui les a traités de
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viande à bagne aurait le droit de reparaître pour les injurier à
nouveau ! Y penses-tu ? & Mais un sergent et une compagnie,
sans nous demander d ordres et bousculant nos résistances,
iraient sauter sur les rédacteurs et les fusilleraient d autor et
d achar7& Aimes-tu mieux ça ? »
Il s exaltait, et autour de lui on s exaltait aussi.
La sentinelle, dont on voyait par la fenêtre luire la baïonnette,
s était arrêtée pour écouter ; et quand le ministre eut fini, je vis
l arme bouger et se profiler en noir sur le mur inondé de soleil.
L homme muet faisait le geste de viser et d abattre ceux qui
parleraient de délier la langue aux insulteurs de pauvres.
« Et à l instruction publique ? Sais-tu qui est là ?
Eh ! oui, le grand Rouiller. »
Rouiller est un fort gaillard de quarante ans, à charpente
vigoureuse, et dont le visage est comme barbouillé de lie. Il se
balance en marchant, porte des pantalons à la hussarde, son
chapeau sur l oreille, et le pif en l air. Il semble vouloir faire, avec
ses moulinets de bras et de jambes, de la place au peuple qui vient
derrière lui. On cherche dans sa main la canne du compagnon du
Devoir ou celle du tambour-major, qu il fera voltiger au-dessus
d un bataillon d irréguliers.
Il est cordonnier, et révolutionnaire.
« Je chausse les gens et je déchausse les pavés ! »
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D autorité, de force.
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Il n est guère plus fort en orthographe que son collègue de
l Intérieur. Mais il en sait plus long en histoire et en économie
sociale, ce savetier, que n en savent tous les diplômés réunis qui
ont, avant lui, pris le portefeuille dont il a, avant-hier, tâté le
ventre, avec une moue d homme qui se connaît plus en peau de
vache qu en maroquin.
Tandis qu il cire son fil ou promène son tranchet dans le dos
de chèvre, il suit aussi le fil des grandes idées, et découpe une
république à lui dans les républiques des penseurs.
Et, à la tribune, il sait faire reluire et cambrer sa phrase
comme l empeigne d un soulier, affilant sa blague en museau de
bottine, ou enfonçant ses arguments, comme des clous à travers
des talons de renfort ! Dans son sac d orateur, il a de la fantaisie
et du solide, de même qu il porte, dans sa « toilette » de serge, des
mules de marquise et des socques de maçon.
Tribun de chand de vin, curieux avec sa gouaillerie et ses
colères, maniaque de la contradiction, éloquent devant le zinc et
au club, toujours prêt à s arroser la dalle, défendant toutes les
libertés& celle de la soûlaison comme les autres !
« G nia qu deux questions ! Primo : l intérêt du Cap tal ! »
Il ne fait que deux syllabes du mot. Il avale avec la joie d un
homme qui mange le nez à son adversaire.
« Segondo : l autonomie ! Vous devez connaître ça, Vingtras,
vous qui avez fait vos classes ? Ça vient du grec, à ce qu ils disent,
les bacheliers ! & Ils savent d où ça vient, mais ils ne savent pas
où ça mène ! »
Et de rire en sifflant son verre !
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« Expliquez-moi un peu ce que c est que l autonomie, pour
ouar ! » fait-il, après s être essuyé la barbe.
Tous d attendre la réponse.
Au milieu du silence, il répète :
« Moi, je suis pour l autonomie quelconque, des quartiers, des
rues, des maisons&
Et des caves ?
Ah ! ça ! & »
Je suis curieux de le voir en fonction, et prends le chemin de
la rue Saint-Dominique.
« Vous demandez M. le Grand Maître ? » me dit un huissier à
chaîne d argent qui me voit errant à travers les couloirs.
Le Grand Maître ! Est-ce qu il se moque de moi ?
Néanmoins, je m incline avec des airs de personnage.
Il me précède dans l escalier.
Une odeur de tabac, des cris.
« Quand je vous dis que je ne fais jamais de partie à quatre !
Alors, je serai le galérien d un monsieur dont je deviendrais le
solidaire ? Non, non ! & Chacun pour soi : L autonomie ! »
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Bruit de carambolage.
« Votre partenaire l aurait fait, celui-là !
Oui, et je lui aurais dû de la reconnaissance ! Du sentiment
alors ? J aime mieux être autonome, mon bonhomme !
Et puis, où serait l intérêt ? & l intérêt du Cap tal » ai-je fait
en entrant.
On m a tapé sur le ventre, et on a rempli de rhum les petits
verres.
« Vous devez l aimer, celui-là, car il sent rudement la
semelle !
Vous préféreriez téter votre écritoire, hein ? buveur
d encre ! & Et qu est-ce que vous venez faire ? Nous fiche à la
porte, peut-être ? »
Il a lampé une autre lichée, et a dit :
« Je m en bats l Sil ! Ça n en aura pas moins été un gniaf8 qui
sera entré ici le premier, comme un sorbonniot9, et que toute la
valetaille de bureau ou d office aura salué ! Nous aurons introduit
le cuir dans le Conservatoire de la langue française, et flanqué un
coup de pied au derrière de la tradition ! »
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Cordonnier, savetier, mais également personne qui gâte un
ouvrage ou qui fait des bassesses.
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Étudiant à la Sorbonne.
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« Dites-moi donc, Rouiller, qui vous a donné votre
délégation ?
Ah çà, mais ! vous croyez donc que je reçois des ordres et
que je m enrégimente ! & J avais des chaussures à rendre dans le
quartier. C est en voyant l enseigne que l idée m a pris de monter.
Le fauteuil était vide, et je m y suis assis et j y suis encore ! &
Eh ! là-bas, l homme à la chaîne, ça vous contrarierait-il d aller
nous chercher de la charcuterie : un pied pour moi et de la hure
pour Theulière ? & Nous mangerons ici. Allons, Vingtras, vous
allez bouffer avec nous ; mettez votre part ! »
Il a tendu un képi pour faire la quête du déjeuner.
« C est ce que nous avons épuisé les quatre sous donnés par le
Comité : cinq francs par tête. Maintenant, faut y aller de sa
monnaie. »
On a boulotté dans le cabinet du ministre, et là, comme on
était cinq ou six, et qu on avait arrosé le cochon, on a discuté
chaudement les événements.
Réussira-t-on ? Ne réussira-t-on pas ?
« Et qu importe ! a grogné Rouiller. On est en révolution, on y
reste& jusqu à ce que ça change ! Il s agit seulement d avoir le
temps de montrer ce qu on voulait, si on ne peut pas faire ce
qu on veut ! »
Puis se tournant vers moi, presque grave :
« Vous croyez peut-être que nous n avons fait que caramboler
et que soiffer depuis que nous sommes ici ? Non, mon cher ! nous
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avons essayé de bâcler un programme. Voilà de quoi j ai
accouché& Tenez ! »
Il a tiré de sa poche quelques papiers pleins de taches, sentant
la colle, et me les a remis.
« Pourrez-vous lire ? C est poissé de fautes, n est-ce pas ?
Mais dites-moi tout de même ce que vous en pensez ! »
Ce que j en pense ! Je pense, en toute conscience, que cet
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