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naturelle et donc non monétaire, absolument originaire et
authentique. La faute de l'ami, sa faute irréparable et nom-
mée « le mal par bêtise », c'est de ne pas s'être montré à
la hauteur du don que lui avait fait la nature : il n'a pas
su honorer le contrat qui le liait naturellement à la nature,
il ne s'est pas acquitté de sa dette. D'une dette naturelle,
donc d'une dette sans dette ou d'une dette infinie.
C'est un peu comme si l'autre n'avait pas honoré le crédit
que son ami le narrateur lui avait ouvert en « prêtant des
ailes » à son esprit. Il lui a prêté des ailes, l'autre ne les lui
a pas rendues. Reste cette énigme : le narrateur tient ici la
place de la nature, il se fait représenter par elle ou la représente,
il se prend pour la nature (de son ami). Comme le narrateur
représente aussi l'origine de la littérature en venant ici, dans
un « je » ou un jeu de simulacre, à la place du « vrai »
signataire, Baudelaire, nous assistons peut-être à quelque chose
qui ressemble à la naissance de la littérature. Plus rigoureu-
sement, et la différence compte : non pas à la naissance
(naturelle, donc) de la littérature, non pas à son origine mais
au moment d'une naturalisation de la littérature, d'une inter-
prétation de la littérature et d'une littérature de fiction comme
nature, interprétation aussi fictive, peut-être, que la fausse
monnaie dont elle se sert. Car en mettant en scène un narrateur
naturaliste et sentencieux, en exhibant la fiction d'une natu-
ralisation de la littérature, Baudelaire, qui n'est ni un détective
ni le narrateur (mais peut-être un amateur de monnaie, c'est-
à-dire un connaisseur en fausse monnaie, c'est-à-dire un expert
de l'indiscernabilité en ce domaine), inscrit peut-être cette
naturalisation dans une institution nommée la littérature. Alors
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L'excuse et le pardon
il nous rappelle peut-être à l'institutionnalité de cette insti-
tution, mais d'une institution qui ne peut consister qu'à se
faire passer pour naturelle. Il nous invite peut-être à suspendre,
au bout d'une question, la vieille opposition entre la nature
et l'institution, physis et thesis, physis et nomos, la nature et
la convention, le savoir et le crédit (la foi), la nature et tous
ses autres.
Nous disons toujours peut-être. Car le secret reste gardé
sur ce que Baudelaire, le narrateur ou l'ami ont voulu dire
ou voulu faire, à supposer qu'ils l'aient su eux-mêmes; et
ce n'est même pas assuré pour l'ami : celui-ci, on le suppose,
semble savoir, lui, seul ou mieux que quiconque, s'il a
donné, et pourquoi, de la vraie ou de la fausse monnaie.
Mais outre qu'il peut s'être trompé lui-même de mille
manières, il se place ou plutôt doit se tenir en tout cas dans
une position de non-savoir quant à la spéculation possible
du mendiant, c'est-à-dire aux effets de ce qu'il a donné, et
donc quant à la question de savoir ce qu'il a en vérité
donné et donc s'il a en vérité donné. Un tel secret n'entre
en littérature, il n'est constitué par la possibilité de l'insti-
tution littéraire, il n'est révélé par elle aussi dans sa possibilité
de secret, que dans la mesure où il perd toute intériorité
et toute épaisseur, toute profondeur. Il n'est absolument
gardé, indescellable, inviolable, que dans la mesure où il
est formé par une structure non psychologique. Cette struc-
ture n'est pas subjective ou subjectivable, bien qu'elle soit
responsable des effets les plus radicaux de subjectivité ou
de subjectivation. Elle est superficielle, sans substance, infi-
niment privée parce que publique de part en part. Elle
s'étale à la surface de la page, aussi obvie qu'une lettre
volée, une carte postale, un billet de banque, un chèque,
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Donner le temps
une « lettre de créance »  ou « une pièce d'argent de deux
francs ».
Il n'y a pas de nature, seulement des effets de nature ;
dénaturation ou naturalisation. La nature, la signification de
nature, se reconstitue après coup depuis un simulacre (par
exemple la littérature) dont on la croit la cause. Car la nature
que le narrateur représente ici, et que donc il décompte et
raconte aussi, c'est une nature qui ne donne pas tant qu'elle
ne prête. Qui prête plus qu'elle ne donne. Elle fait crédit. Et
quand elle offre à quelqu'un la « fatigante faculté » de « cher- [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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