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je sais ce qu'il faudra que je dise de toi. �
� Va-t'en ! r�pondit-il ; dis tout ce qui te pla�t ;
mais, si tu sors d'ici, rappelle aussi le nom
de cet autre, au caquet si prompt � d�noncer.
Il pleure ici l'argent qu'il re�ut des Fran�ais.
Tu pourras raconter : � J'ai vu l�-bas Duera311,
au site o� des p�cheurs on faisait des conserves. �
Et si l'on veut savoir qui s'y trouvait encore,
tu vois tout pr�s de toi celui de Beccheria,
de qui les Florentins coup�rent la gorg�re312 ;
et je crois que plus loin tu pourras voir Gianni
de Soldanieri, Ganelon, Tebaldel
qui rendit Faenza lorsque tout y dormait. �313
D�j� nous nous �tions �loign�s de ce lieu,
quand je vis deux gel�s terr�s dans une niche,
le chef de l'un servant � l'autre de coiffure.
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Et comme on mord le pain lorsque la faim nous presse,
tel celui du dessus plantait les dents dans l'autre,
au point qui r�unit la cervelle � la moelle314.
Tyd�e, en sa fureur, ne rongeait pas les tempes
de M�nalippe mort315, avec plus de fureur
qu'il ne rongeait ce cr�ne et ce qu'il y trouvait.
� � toi, lui dis-je alors, dont l'immonde conduite
laisse voir tant de haine envers ce que tu ronges,
fais-moi savoir pourquoi ; je m'engage, en �change,
si c'est avec raison que tu te plains de lui,
et sachant qui tu fus et quelle �tait sa faute,
� m'acquitter l�-haut, dans le monde, envers toi,
si la langue qui dit ne s�che pas avant. �
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CHANT XXXIII
Ce p�cheur souleva du sinistre repas
sa bouche, en l'essuyant sur les cheveux du cr�ne
qu'il avait fortement entam� par-derri�re,
et puis il commen�a : � Tu veux que je ravive
une immense douleur, qui m'oppresse le cSur
sit�t qu'il m'en souvient, sans que j'aie � le dire316.
Pourtant, si mon r�cit doit �tre la semence
qui germe l'infamie au tra�tre que je ronge,
tu me verras parler et pleurer � la fois.
Je ne sais pas ton nom, ni de quelle mani�re
tu descendis ici ; mais, l'ayant �cout�,
je crois avoir compris que tu viens de Florence.
Tu sauras que mon nom est Ugolin, le comte ;
celui-ci s'appelait Ruggieri, l'archev�que317 :
voici pourquoi je suis le voisin que tu vois.
Comment, par un effet de ses desseins perfides,
trompant ma confiance, il me fit prisonnier
et puis me mit � mort, je n'ai plus � le dire.
Mais ce que tu ne pus apprendre de personne,
c'est-�-dire � quel point ma mort fut odieuse,
�coute, et tu sauras s'il m'a bien fait souffrir.
Un tout petit pertuis dans cet �troit cachot
qu'on nomme de la Faim depuis que j'y passai
et o� d'autres encor devront �tre enferm�s,
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m'avait d�j� montr�, par sa br�ve ouverture,
plus d'un mois s'�couler, lorsqu'un horrible songe
vint soulever pour moi les voiles du futur.
Je voyais celui-ci, comme seigneur et ma�tre,
donner la chasse au loup et � ses louveteaux
sur les pentes du mont qui cache Lucque � Pise.
Avec des chiens dress�s, aussi maigres que lestes,
il avait fait placer dans la premi�re file
le corps des Gualandi, Lanfranc et Sismondi318
La chasse a peu dur�, car le p�re et les fils
se fatigu�rent vite ; et il me semblait voir
d�j� les crocs pointus qui leur ouvraient le flanc.
Me r�veillant de suite, avant qu'il f�t demain,
j'entendis mes enfants, prisonniers avec moi,
pleurer dans leur sommeil et demander du pain.
Ah ! ton cSur est bien dur, si le triste pr�sage
qui vint s'offrir au mien ne peut pas t'�mouvoir :
si tu n'en pleures pas, quand donc as-tu pleur� ?
Ils s'�taient r�veill�s, et l'heure s'approchait
o� l'on nous apportait d'habitude � manger ;
nos r�ves cependant nous remplissaient d'angoisse.
J'entendis tout � coup clouer en bas la porte
de cette horrible tour ; alors je regardai
mes enfants dans les yeux, sans pouvoir dire un mot.
Mon cSur s'�tait raidi ; je ne pus pas pleurer ;
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eux, ils pleuraient tout bas, et mon petit Anselme
me dit : � P�re, qu'as-tu ? Comme tu nous regardes ! �
Je restai sans parler, sans une seule larme,
tout le long de ce jour et de la nuit suivante,
jusqu'au nouveau soleil qui revint sur le monde.
Lorsqu'un faible rayon eut enfin p�n�tr�
Sans la triste prison, je ne pus contempler
dans leurs quatre regards, sinon ma propre angoisse.
De rage et de douleur, je me mordis les poings ;
mais eux, pensant alors que c'�tait par besoin
de manger, tout de suite ils se mirent debout
et dirent : � Le tourment, p�re, si tu nous manges,
serait moindre pour nous ; c'est toi qui rev�tis
nos pauvres corps de chair, tu peux les d�pouiller. �
Alors je m'apaisai, pour ne plus les peiner.
Nous rest�mes muets les deux jours qui suivirent.
Que ne t'ouvrais-tu pas, � terre impitoyable !
Quand le quatri�me jour nous montra sa lumi�re,
Gaddo tomba soudain � mes pieds �tendu.
� � p�re, criait-il, tu ne veux pas m'aider ? �
Et il mourut ensuite ; et comme tu me vois,
j'ai vu les autres trois tomber l'un apr�s l'autre,
la cinqui�me journ�e et la suivante ; et moi,
aveugle, je cherchais leurs corps en t�tonnant,
et je les appelais deux jours apr�s leur mort ;
mais c'est la faim qui fut plus forte que la peine. �319
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Ayant fini de dire, il reprit, les yeux torves,
le cr�ne mis�rable et y planta ses dents
qui faisaient craquer l'os plus fort que ceux d'un chien.
Ah ! Pise, d�shonneur de tous les habitants
de cette douce terre o� r�sonne le si,
puisque de tes voisins aucun ne te punit.
puissent donc s'�branler Gorgone et Capraja320,
pour former une digue aux bouches de l'Arno
afin de te noyer, toi-m�me et tous les tiens !
Si le comte Ugolin pouvait �tre accus�
de trahir son devoir, en livrant les ch�teaux,
devais-tu donc ainsi torturer ses enfants ?
Le printemps de leurs ans devait, nouvelle Th�be321,
Prot�ger Ugoccion et Brigate, innocents,
avec les autres deux dont mon chant dit le nom.
Mais nous pass�mes outre, � l'endroit o� la glace
amarrait rudement un autre lot de gens,
non plus la t�te en bas, mais couch�s sur le dos322.
Ici, les larmes m�me emp�chent de pleurer,
et la douleur, trouvant sur les yeux un obstacle,
se consume en dedans, augmentant le tourment ;
puisque les premiers pleurs forment un bloc de glace,
plac� comme un bouchon de verre sous les cils,
et remplit aussit�t tout le creux des orbites.
Et bien qu'en cet endroit mon visage e�t perdu
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la sensibilit�, par suite du grand froid,
et dev�nt endurci comme une peau calleuse,
il me semblait pourtant sentir un peu de vent,
et je dis : � D'o� provient, ma�tre, ce mouvement ?
La vapeur descend-elle aussi bas que nous-m�mes ? �
Il r�pondit alors : � Tu le verras toi-m�me,
arriv�s � l'endroit o� tes yeux r�pondront,
bient�t, en te montrant la cause de ce souffle. �
Alors un malheureux pris dans la cro�te froide
cria soudain vers nous : � �mes impitoyables
au point de m�riter cette derni�re place,
�tez-moi du regard le voile douloureux,
que j'�panche le deuil qui me gonfle le cSur
pendant un seul instant, avant qu'il ne reg�le ! �
Je dis : � Si tu pr�tends que je vienne � ton aide,
dis-moi d'abord ton nom : si je ne t'en sors pas,
je veux aller moi-m�me au fond de cette glace. �
Il r�pondit alors : � Je suis Fr�re Alb�ric323 ;
je suis l'homme aux fruits pris dans le mauvais jardin,
qui re�ois en ce lieu la datte pour la figue. �
� Comment ? lui dis-je alors ; es-tu donc d�j� mort ? �
Et il me r�pondit : � Si mon corps vit encore
dans le monde d'en haut, je n'en sais rien d'ici ;
car cette Ptol�m�e, entre autres avantages,
a celui d'accepter les damn�s bien avant
qu'Atropos n'ait pouss� leur corps dans le tombeau.
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Pour te faire raser avec plus d'int�r�t
les pleurs vitrifi�s qui couvrent mon visage,
j'ajoute que, si l'�me est, comme moi, coupable
de quelque trahison, son corps est aussit�t
saisi par un d�mon, qui le gouverne ensuite
jusqu'� ce que son temps soit r�volu sur terre.
L'�me est pr�cipit�e au fin fond de ce puits ;
et peut-�tre l�-haut voit-on toujours le corps
dont l'ombre est l�, tout pr�s, et se fait congeler. [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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