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ne veuille être ni assez métaphysicien ni assez savant pour entrer dans ces
considérations, qu'on se désintéresse du contenu de la doctrine, qu'on en
ignore la méthode : un simple coup d'Sil jeté sur les applications montre quel
travail de circonvallation scientifique elle exige avant l'attaque du moindre
problème. Il n'en faut pas davantage pour voir la place que nous faisons à la
science. En réalité, la principale difficulté de la recherche philosophique, telle
que nous la comprenons, est là. Raisonner sur des idées abstraites est aisé : la
construction métaphysique n'est qu'un jeu, pour peu qu'on y soit prédisposé.
Approfondir intuitivement l'esprit est peut-être plus pénible, mais aucun
philosophe n'y travaillera longtemps de suite : il aura bien vite aperçu, chaque
fois, ce qu'il est en état d'apercevoir. En revanche, si l'on accepte une telle
méthode, on n'aura jamais assez fait d'études préparatoires, jamais suffisam-
ment appris. Voici un problème philosophique. Nous ne l'avons pas choisi,
nous l'avons rencontré. Il nous barre la route, et dès lors il faut écarter
l'obstacle ou ne plus philosopher. Point de subterfuge possible ; adieu l'artifice
dialectique qui endort l'attention et qui donne, en rêve, l'illusion d'avancer. La
difficulté doit être résolue, et le problème analysé en ses éléments. Où sera-t-
on conduit ? Nul ne le sait. Nul ne dira même quelle est la science dont
relèveront les nouveaux problèmes. Ce pourra être une science à laquelle on
est totalement étranger. Que dis-je ? Il ne suffira pas de faire connaissance
avec elle, ni même d'en pousser très loin l'approfondissement : force sera
parfois d'en réformer certains procédés, certaines habitudes, certaines théories
en se réglant justement sur les faits et les raisons qui ont suscité des questions
nouvelles. Soit ; on s'initiera à la science qu'on ignore, on l'approfondira, au
besoin on la réformera. Et s'il y faut des mois ou des années ? On y consacrera
le temps qu'il faudra. Et si une vie n'y suffit pas ? Plusieurs vies en viendront à
bout ; nul philosophe n'est maintenant obligé de construire toute la philoso-
phie. Voilà le langage que nous tenons au philosophe. Telle est la méthode
que nous lui proposons. Elle exige qu'il soit toujours prêt, quel que soit son
âge, à se refaire étudiant.
À vrai dire, la philosophie est tout près d'en venir là. Le changement s'est
déjà fait sur certains points. Si nos vues furent généralement jugées para-
doxales quand elles parurent, quelques-unes sont aujourd'hui banales ; d'autres
sont en passe de le devenir. Reconnaissons qu'elles ne pouvaient être accep-
tées d'abord. Il eût fallu s'arracher à des habitudes profondément enracinées,
véritables prolongements de la nature. Toutes les manières de parler, de
penser, de percevoir impliquent en effet que l'immobilité et l'immutabilité sont
de droit, que le mouvement et le changement viennent se surajouter, comme
des accidents, à des choses qui par elles-mêmes ne se meuvent pas, et en elles-
mêmes ne changent pas. La représentation du changement est celle de qualités
ou d'états qui se succéderaient dans une substance. Chacune des qualités,
chacun des états serait du stable, le changement étant fait de leur succession :
quant à la substance, dont le rôle est de supporter les états et les qualités qui se
succèdent, elle serait la stabilité même. Telle est la logique immanente à nos
langues, et formulée une fois pour toutes par Aristote : l'intelligence a pour
essence de juger, et le jugement s'opère par l'attribution d'un prédicat à un
sujet. Le sujet, par cela seul qu'on le nomme, est défini comme invariable ; la
variation résidera dans la diversité des états qu'on affirmera de lui tour à tour.
En procédant ainsi par apposition d'un prédicat à un sujet, du stable au stable,
nous suivons la pente de notre intelligence, nous nous conformons aux
exigences de notre langage, et, pour tout dire, nous obéissons à la nature. Car
Henri Bergson, La pensée et le mouvant Essais et conférences. 43
la nature a prédestiné l'homme à la vie sociale ; elle a voulu le travail en
commun : et ce travail sera possible si nous faisons passer d'un côté la stabilité
absolument définitive du sujet, de l'autre les stabilités provisoirement défini-
tives des qualités et des états, qui se trouveront être des attributs. En énonçant
le sujet, nous adossons notre communication à une connaissance que nos
interlocuteurs possèdent déjà, puisque la substance est censée invariable ; ils
savent désormais sur quel point diriger leur attention ; viendra alors l'infor-
mation que nous voulons leur donner, dans l'attente de laquelle nous les
placions en introduisant la substance, et que leur apporte l'attribut. Mais ce
n'est pas seulement en nous façonnant pour la vie sociale, en nous laissant
toute latitude pour l'organisation de la société, en rendant ainsi nécessaire le
langage, que la nature nous a prédestinés à voir dans le changement et le
mouvement des accidents, à ériger l'immutabilité et l'immobilité en essences
ou substances, en supports. Il faut ajouter que notre perception procède elle-
même selon cette philosophie. Elle découpe, dans la continuité de l'étendue,
des corps choisis précisément de telle manière qu'ils puissent être traités
comme invariables pendant qu'on les considère. Quand la variation est trop
forte pour ne pas frapper, on dit que l'état auquel on avait affaire a cédé la
place à un autre, lequel ne variera pas davantage. Ici encore c'est la nature,
préparatrice de l'action individuelle et sociale, qui a tracé les grandes lignes de
notre langage et de notre pensée, sans les faire d'ailleurs coïncider ensemble,
et en laissant aussi une large place à la contingence et à la variabilité. Il
suffira, pour s'en convaincre, de comparer à notre durée ce qu'on pourrait
appeler la durée des choses : deux rythmes bien différents, calculés de telle
manière que dans le plus court intervalle perceptible de notre temps tiennent
des trillions d'oscillations ou plus généralement d'événements extérieurs qui se
répètent : cette immense histoire, que nous mettrions des centaines de siècles à
dérouler, nous l'appréhendons dans une synthèse indivisible. Ainsi la percep-
tion, la pensée, le langage, toutes les activités individuelles ou sociales de
l'esprit conspirent à nous mettre en présence d'objets que nous pouvons tenir
pour invariables et immobiles pendant que nous les considérons, comme aussi
en présence de personnes, y compris la nôtre, qui deviendront à nos yeux des
objets et, par là même, des substances invariables. Comment déraciner une
inclination aussi profonde ? Comment amener l'esprit humain à renverser le
sens de son opération habituelle, à partir du changement et du mouvement,
envisagés comme la réalité même, et à ne plus voir dans les arrêts ou les états
que des instantanés pris sur du mouvant ? Il fallait lui montrer que, si la
marche habituelle de la pensée est pratiquement utile, commode pour la
conversation, la coopération, l'action, elle conduit à des problèmes philosophi-
ques qui sont et qui resteront insolubles, étant posés à l'envers. C'est précisé-
ment parce qu'on les voyait insolubles, et parce qu'ils n'apparaissaient pas
comme mal posés, que l'on concluait à la relativité de toute connaissance et à
l'impossibilité d'atteindre l'absolu. Le succès du positivisme et du kantisme,
attitudes d'esprit à peu près générales quand nous commencions à philosopher,
venait principalement de là. À l'attitude humiliée on devait renoncer peu à
peu, à mesure qu'on apercevrait la vraie cause des antinomies irréductibles.
Celles-ci étaient de fabrication humaine. Elles ne venaient pas du fond des
choses, mais d'un transport automatique, à la spéculation, des habitudes
contractées dans l'action. Ce qu'un laisser-aller de l'intelligence avait fait, un [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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